Portraits d’esclaves.

Notre propos cherche à déceler aujourd’hui dans la galerie de portraits d’esclaves (sur le site de l’Iconothèque historique de l’océan Indien) des signes qui traduiraient le rapport au monde servile qu’avaient des artistes confirmés ou amateurs.

         Ces représentations de l’esclave sont intrinsèquement liées aux sources archivistiques dont nous disposons. La lecture de ces images fixes repose sur une grille d’interprétation et définit le contexte général dans lequel ces œuvres ont été conçues. Une recherche du passé s’ouvre et nous conduit vers une exploration du regard posé sur l’esclave. Pour une large part, les fonds et les collections sélectionnés sur les représentations d’esclaves sont extrêmement vulnérables, ce qui les rend irremplaçables. Dans cette série d’images, plusieurs artistes attirent particulièrement notre attention :

– il y a d’abord cette suite d’aquarelles de Jean-Baptiste Louis Dumas (°1792-†1849), un ingénieur des ponts et chaussées polytechnicien en poste dans l’île entre 1828 et 1830. La période illustrée constitue déjà un intérêt historique remarquable tant ces images sont inédites et constituent l’un des plus intéressant témoignages de l’esclavage à La Réunion, figurant presque le portrait social de la société de plantation. Cette suite de scènes de genre n’est pas inconnue des historiens. Elle a été révélée lors la commémoration du cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998 et largement reproduite dans le catalogue de l’exposition Regards croisés sur l’esclavage ;

  • ensuite les lithographies plus réputées et communes des artistes Adolphe Martial Potémont (°1828-†1883) et Louis Antoine Roussin (°1819-†1894) couvrant les années qui précèdent l’abolition de l’esclavage. 

Près de 7 images sur 10 représentent des esclaves au travail, ce qui peut paraître normal puisque c’est leur raison d’être, dans cette société coloniale, « l’esclave doit être avant tout producteur » pour reprendre une assertion de l’historien Prosper Eve.

Cette variété des rôles professionnels est entrevue ici à travers un prisme : la représentation du monde servile dépend des repères socio-culturels de ceux qui sont à l’origine des images.

Les esclaves « à talent » (forgerons, harpentiers, maçons) sont pratiquement inexistants. Les pions du Gouverneur sont repris par les deux créateurs et un tailleur de pierre est dessiné par Dumas.

Souvenir de l’Ile de la Réunion, N° 65. Esclaves indigènes : Négresse femme de chambre, Noir domestique
Roussin, Louis Antoine (1819-1894)
1848
Archives départementales de La Réunion

En revanche les domestiques sont en surnombre. Ils n’ont pas de fonction directement économique et sont en général mieux traités parce qu’ils servent dans la maison du maître et de ce fait gravitent dans la sphère privée, participent également en coulisse à la vie sociale de leur propriétaire. Leurs marques de distinction se manifestent de manière quasi ostentatoire par leurs vêtements et accessoires, plus soignés, plus fins. Les auteurs les cotoient sans doute plus souvent pour leur donner la primeur dans leur perception du monde servile. Quant aux autres fonctions, c’est Jean-Baptiste Dumas qui traduit le plus la diversité socioprofessionnelle : les Noirs de pioche, Noirs de chaîne, porteurs d’eau, cuisiniers, marchands, repasseuses et tailleurs de pierre sont principalement revélés par Dumas.

Ce dernier omet pourtant de préciser les activités attribuées à certains esclaves sur ces planches : ainsi pouvons recenser également des lavandières, des porteurs de manchys, balayeurs, porteurs à dos d’homme. De même, les légendes accompagnant les lithographies de Potémont évacuent de notre lecture les professions des esclaves : « Le retour du travail » concerne un Noir de pioche et sa famille, le « Jardin » met en scène une domestique apportant des boissons à ses propriétaires. Les informations textuelles relèguent les personnages au rôle de figurant.

Ces iconographies dans leur ensemble donnent à voir une image positive de ces travailleurs de forcés. Le travail dans toutes ses composantes est valorisé. Il n’y a pour ainsi dire aucune vision misérabiliste de la masse servile.

Devons-nous pour autant conclure à un discours généralisateur qui occulte la diversité des situations ? Si les lithographies de Potémont et Roussin semblent confiner à une approche esthétique du sujet traité, les aquarelles de Dumas au contraire font apparaître « une réalité » tout autre : les Noirs de chaîne y cotoient les domestiques et les Noirs de pioche.

Ensuite, il convient de rappeler que nous sommes en présence d’un art figuratif , un style artistique, qui utilise comme modèles des objets du réel, les déforme ou les change pour transmettre un message. Il renvoie à un spectacle identifiable du réel ou d’un monde irréel né de la seule imagination de l’artiste. Quoi qu’il en soit ces artistes nous ont laissé des témoignages irremplaçables parce que rares d’une société à un moment donné de son Histoire.

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